Mon objet préféré du livre est un personnage muet et immobile dans sa condition de peluche humanisée. C’est « un ourson de taille moyenne, au pelage assez râpé, marron clair légèrement orangé par endroits. Il émane de lui une discrète odeur de roussi. »
« M grenat, A rose, G violet, N orange, U bleu nuit et S jaune safran. »
Magnus, qu’il s’appelle, ce personnage chosifié.
Au fil des pages, il est toujours présent sans être là, fantôme récurrent entre les lignes, dont on a l’impression que ses yeux de « renoncules dorées » nous suivent au fil de la lecture. Témoin de l’histoire de son propriétaire, dont Magnus est la clé : dès le commencement de sa vie, ne lui avait-il pas dit, par son odeur de roussi, avant même que le personnage principal ne se questionne sur ces origines, que tous les deux venaient d’une petite ville bombardée en Enfer par l’Homme et sa folie ?
Il est le seul lien et repère fixe pour ce personnage « à la mémoire lacunaire, longtemps plombée de mensonges puis gauchie par le temps, hantée d’incertitudes ».
Mais aussi son reflet, miroir miniature et muet de sa vie, du début à la fin.
Petit bonhomme et petit nounours furent les témoins aveuglés par la démence de l’Homme.
Dont petit bonhomme oublia ces images et ses parents, dont petit nounours conserva pour lui les traces : boucles d’oreilles en « corolle de renoncules » pour la mère et « Magnus » brodé sur le foulard pour peut-être le nom du père.
« Ce fragile peut-être lui tien(dra) lieu de filiation ».
Puis ils restèrent ensembles, le personnage principal et la « pouillerie de Magnus », par les parents imposteurs.
Puis quand la déchéance arriva, la fausse mère mit ses boucles d’oreilles à la place des yeux-bijoux de l’ourson, comme elle l’a fait pour l’enfant, en lui brodant mensongèrement son histoire.
Ce dernier banda ensuite les yeux de l’ourson au moment où lui ne voulait pas voir la vérité ; quand celle-ci s’imposa d’elle-même, les yeux de diamants tachèrent le bandeau : comme des larmes, celle de l’amère réalité qui percuta le personnage principal.
Cette vérité fut trop dure, et il arracha les faux yeux, comme il jeta dans l’oubli ses faux parents terribles.
Et ce personnage aux multiples noms vaporeux prit alors l’identité de la peluche : « qui exige de se faire appeler dorénavant Magnus ». Puis l’ourson vieillit, comme le personnage, toujours présent néanmoins dans ses tribulations, ses nombreux voyages, ses multiples recherches.
Où le personnage deviendra carrément un ours qui « hiberne longtemps », pendant « plusieurs saisons ». Enfin, le doudou tout vieux sera libéré dans un ruisseau du Trinquelin comme le personnage sera libéré de lui-même, de son passé, de son futur.
Voilà, c’est Magnus l’ourson que je préfère.
Mais qui ne serait pas attendri par un nounours pelucheux au
« regard doux et éberlué » ?